La ville intelligente ou Smart City fait l’objet d’une attention particulière de la part des instances attachées aux politiques urbaines. Réponse technologique toute faite aux problématiques contemporaines – transition écologique, mobilité, sécurité… –, elle souffre malheureusement d’une vision étriquée du réel.
Derrière ses promesses, le modèle de la Smart City, purement technologique, demeure en effet restrictif, sectoriel et faisant fi des dynamiques du territoire. Car ce dernier est à l’évidence infiniment plus riche, complexe et passionnant que ne le décrivent les cartographies traditionnelles.
Des innovations mais peu de solutions aux problèmes organisationnels
La compréhension complexe, dynamique, globale et interconnectée des défis organisationnels du territoire nécessite de se débarrasser d’un raccourci particulièrement encombrant. Celui qui nous mène à confondre fonctionnement (résolution ponctuelle de problèmes) et organisation (vision systémique du territoire). Sans une réflexion intégrant ce biais hérité d’enseignements, d’usages, voire de mythes, les initiatives de transformation des territoires demeureront insatisfaisantes.
La majorité des projets actuels de Smart City s’appuient sur des innovations techniques et technologiques appliquées à des problèmes locaux. Les solutions ne sont pas dénuées d’intérêt et peuvent certainement améliorer le confort, réduire les coûts, économiser de l’énergie… Mais elles ne s’apparentent finalement qu’à des expédients. Elles agissent comme des rustines techniques posées sur une réalité – le territoire – bien plus challengeante à cerner, organiser et intégrer.
Ainsi, pour entamer une véritable transformation des territoires, il faut interroger l’ensemble de leurs dynamiques, pas seulement les symptômes visibles de dysfonctionnements. Car capteurs de fuites d’eau, poubelles connectées et autres dispositifs numériques pour l’éclairage public… ne répondent pas aux enjeux structurels. On pense à ceux associés à la mobilité, la répartition des services, la justice sociale ou encore à l’écologie : des attitudes et des manières d’être et d’agir en symbiose avec son territoire. Autant de problématiques critiques pour l’équilibre, le bien-être et le bien-vivre de ceux qui occupent les territoires : les citoyens.

Une gouvernance défaillante de systèmes de données morcelés
On le sait aujourd’hui, la ville, le territoire, ou tout ensemble organisé — habité ou non —, produit et s’exprime par une masse croissante de données. Ces données, ne se transforment cependant pas automatiquement en informations et en savoirs alimentant l’intelligence collective et soutenant l’inventivité horizontale. Pour que cela soit le cas, il est impératif de penser de nouveaux modèles de gouvernance systémiques ouverts, collaboratifs. Des plateformes intégrées capables d’analyser, de partager et d’interpréter à plusieurs niveaux d’échelle et en temps réel des données sémantisées et interreliées.
Mais en l’absence de gouvernance des données adaptée, on assiste au contraire à une fragmentation des initiatives territoriales. Dans une perspective auto-centrée, chaque ville investit selon ses moyens, ses priorités, ses ambitions de visibilité. Cela se fait souvent dans une logique de concurrence et d’attractivité, parfois même au détriment du bon sens collectif.
Émergent alors de ces initiatives disparates des solutions locales déconnectées des problèmes globaux. Par exemple, une ville investit dans la mobilité douce tandis que sa voisine reste dépendante de la voiture. Ou encore une commune connecte ses lampadaires, quand une autre investit dans les déchets… sans mutualisation, sans mise en cohérence par rapport aux réalités territoriales. Or les territoires, ces lieux de collectivités aussi locales soient-elles, sont interdépendants. Chaque décision prise a des effets systémiques : attirer une population ici, c’est peut-être vider un quartier là-bas.
Sortir du modèle concurrentiel : vers une coopération territoriale
Il s’agit de sortir d’une habitude d’actions par tâtonnements et de réponses toute-faites à partir d’apriori ou de visions préformées de ce qu’est un territoire. L’intérêt d’avoir cette formidable masse de données, une fois organisées, reliées et cartographiées d’une manière signifiante, est de fournir une compréhension plus fine et guider nos actions.
Il est nécessaire, selon nous, de repenser le concept même de Smart City ou de Smart Territory. On ne peut pas concevoir la ville ou le territoire comme espace d’initiatives concurrentielles, mais comme réceptacle commun d’innovations partagées. La technologie n’est pas une arme servant à attirer, séduire ou se démarquer. Il s’agit au contraire d’un outil de coopération, de lien et d’organisation citoyenne démocratique.
L’enjeu n’est pas de fabriquer des vitrines originales, autosuffisantes, mais déconnectées d’un réel bien plus étendu. Il est de favoriser des formes d’intelligence collective, à échelle locale, régionale, nationale voire globale pour les plus ambitieuses. Mais cela suppose de passer d’un mode de pensée et d’initiative compétitif à un mode collaboratif. Une organisation au sein de laquelle les innovations ne sont pas des privilèges mais des biens communs à partager.
Les territoires possèdent des singularités propres, une géographie, une mémoire, un tissu social, des aspirations particulières. Plutôt que de copier des modèles « qui marchent ailleurs », il s’agit de révéler ces singularités, de les magnifier, de les adapter ou de les infléchir… Le modèle dominant de la Smart City incite trop souvent à la reproduction, au mimétisme. On se contente d’importer des projets sans analyser leur pertinence locale. On subit ainsi les singularités des autres au lieu de reconnaitre les siennes et travailler avec.

Une ville pas si intelligente !
Finalement, se pose à nous une question relativement simple : quelle « personnalité » souhaitons-nous donner à nos villes ? Doivent-elles être caractérisées par une excellence en matière d’efficacité énergétique, de gestion algorithmique, de surveillance intelligente ? Ou alors préférons-nous qu’elles soient vivantes, imprévisibles, animées et construites par et pour leurs citoyens d’une manière responsable ?
La conception de la Smart City actuelle manque cruellement d’une dimension politique, sociale et, toute aussi cruciale, poétique du territoire. Elle traite les villes comme des micro mécanismes à optimiser, non comme un système dynamique à comprendre, ni comme des milieux à habiter ensemble. On ne peut dire qu’elle soit, de ce point de vue, particulièrement intelligente. Nous pensons de notre côté qu’il est essentiel de dépasser cette perception figée de la ville pour l’envisager comme un système d’information dynamique, capable de s’adapter aux flux de données et d’exprimer les transformations territoriales vécues.
Cette approche invite à repenser la Smart City non pas comme une collection de gadgets technologiques, mais comme une structure évolutive et réactive1. Une ville qui ne cherche pas la perfection technologique, mais l’intelligence partagée, la co-construction, la diversité des usages. Une ville qui accepte ses contradictions, ses limites, et qui s’appuie sur elles pour innover autrement.
1 Hammoudi, T. (2021). Architecture as Information Machine. Footprint, 15(1). https://doi.org/10.7480/footprint.15.1.4984
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